CHEIKH ANTA DIOP : la recherche au service de la conscience historique africaine
L’illustre chercheur, Cheikh Anta Diop a laissé à l’Afrique un héritage de libération intellectuelle sans précédent. Les résultats de ses recherches sont le produit d’un effort gigantesque de reconstitution des fondements de l’architecture d’une civilisation qui était enfouie sous les décombres de l’oubli, comme disait Jean-Pierre NDiaye dans le J.A. n° 1316 (daté du 26 mars 1986). L’institut Fondamental d’Afrique Noire Cheikh Anta Diop qui porte son nom et où il fut chercheur, lui rend un hommage appuyé par des témoignages, dans le second numéro de son bulletin d’information.
« L’Égypte ancienne était nègre… C’est l’évolution du hasard qui a voulu que l’homme ait pris naissance en Afrique. Donc, l’homme était d’abord noir et cet homme est l’ancêtre de toutes les autres races ». Tel est le résumé qui sort principalement des travaux scientifiques menés par l’éminent chercheur.
La première parution de « Nations nègres et culture » en 1954, fut un véritable séisme dans les milieux intellectuels de l’époque. Le chercheur qui rame à contre-courant va plus loin en étudiant les textes anciens des savants et explorateurs. Il reprend ainsi les récits de voyageurs européens du XVIIIe siècle qui, malgré les préjugés de la société esclavagiste, ont perçu comme une évidence l’origine nègre de l’Égypte ancienne.
Il invite également, photographies à l’appui, à porter un regard critique, direct sur les sculptures et les fresques égyptiennes, et à voir dans la pigmentation foncée des personnages, dans leur nez court et charnu, leurs lèvres épaisses et leur morphologie un type humain intégralement nègre.
Selon lui, les ancêtres des Européens, les Latins et les Grecs qui étaient arrivés au centre de la lucidité et de la maturité à l’instar des philosophes de l’antiquité, avaient tous abondé dans le même sens. Mieux, ils prétendaient avoir reçu de ces derniers, tous les éléments de leur civilisation. Une telle théorie plaçant l’Égypte au cœur de la civilisation universelle et comme base l’hellénisme, ne pouvait que susciter l’indignation.
Au service du génie noir…
Cheikh Anta Diop appartient en effet aux générations des intellectuels africains de la Seconde Guerre mondiale. C’est le moment où vont éclater les contradictions de trois siècles de domination occidentale avec une prééminence des idéologies racistes et colonialistes, une infériorisation des noirs et une négation de leur contribution à l’Histoire universelle.
Les travaux de Cheikh Anta Diop marquent également la résurrection de la Haute Antiquité égyptienne qui remonte à 6 000 ans avant J.-C. et qui témoigne de l’existence d’une écriture à travers laquelle les peuples de la vallée du Nil ont immortalisé leur mémoire.
Ses travaux ont contribué à bouleverser les certitudes considérées comme scientifiques, au moment où les jeunes nations retrouvent théoriquement leur indépendance.
Après sa thèse de Doctorat d’État en Histoire, et quelques années d’enseignement de la physique-chimie aux lycées Claude Bernard et Voltaire à Paris, il retourne en 1960 au Sénégal, en terre africaine, pour contribuer au développement de la science et à la décolonisation des approches dominantes.
En 1961, il est affecté à l’Institut français d’Afrique noire (IFAN) de l’Université de Dakar où il va approfondir ses recherches sur l’histoire africaine et égyptienne en particulier. À l’IFAN, sa première tâche fut l’inventaire archéologique du Mali.
Le chercheur-Assistant va répertorier toutes sortes d’objets, de la poterie de l’époque médiévale, des haches de la période néolithique, etc. qui lui ont permis de reconstituer la chronologie, le mode de vie et d’organisation sociale des ancêtres d’Africains, leurs coutumes et la conception qu’ils se faisaient de la vie et de la mort.
Il va sans aucune aide du gouvernement, solliciter le concours des amis et collègues pour créer le Laboratoire Carbone 14 de datation des objets archéologiques par la méthode de radiocarbone, le seul laboratoire en Afrique à cette époque. Dans son Laboratoire, il y réunit toute une collection de moulage de crânes de différents stades de l’évolution humaine et s’emploie à remonter le plus loin possible dans l’histoire de l’Afrique. Chef du laboratoire Carbone 14 à l’IFAN, Cheikh Anta Diop s’adonne aussi à des recherches sur l’énergie solaire.
Dans le domaine politique, il parachève l’élaboration théorique de sa vision étatique qui s’identifie à celle de Nkrumah et la consolide.
Le Panafricain des premières heures
Son combat culturel eut naturellement un prolongement politique. Dans les années cinquante, Cheikh Anta Diop est l’un des principaux animateurs de la Fédération des Étudiants d’Afrique Noire en France (FEANF) qui lance pour la première fois, en direction de l’Afrique, le mot d’ordre d’ « indépendance immédiate » bousculant le calendrier et le programme politique des partis fédéraux africains.
Cheikh Anta Diop, c’est aussi un combat pour l’Unité de l’Afrique Noire, gage d’indépendance et de développement. Partisan d’un État fédéral d’Afrique Noire, il a posé les fondements économiques du continent noir dans son ouvrage « Les fondements économiques et culturels d’un État fédéral d’Afrique noire » dans lequel, le principe de l’unité transforme tous les problèmes auxquels l’Afrique est confrontée. Pour l’homme, il n’y a pas d’unité sans mémoire : il s’agit de restaurer la conscience historique africaine. II n’y a pas d’identité nationale et fédérale sans un langage commun : l’unification linguistique est possible.