Redécouvrir Cheikh Anta Diop à travers l’ouvrage du Dr Khadim Ndiaye : l’IFAN accueille une table ronde
Ce lundi 22 décembre , à l’auditorium Khaly Amar Fall ,où la voix de Cheikh Anta Diop tonnait déjà en 1976 , s’est tenue une table ronde autour de la présentation de l’ouvrage du Dr Khadim Ndiaye, Cheikh Anta Diop par lui-même : itinéraire, pensées, confidences, opinions et combats.
Organisée grâce à la collaboration de trois laboratoires de l’IFAN (Histoire, Carbone 14, Préhistoire et Protohistoire), ainsi que de la Direction des affaires culturelles et scientifiques (DACS), cette rencontre a permis à l’auteur d’expliquer la démarche singulière qui a guidé son travail. Fidèle à l’esprit de Cheikh Anta Diop, qui refusait tout cloisonnement des disciplines scientifiques, Khadim Ndiaye a souligné qu’il était impossible d’appréhender pleinement la pensée du savant en se limitant à ses seuls ouvrages.
Pour combler ce qu’il estime être les « 20 % manquants » après pourtant dix années de recherche, l’historien s’est tourné vers d’autres sources : archives audiovisuelles, presse écrite, transcriptions de conférences et de colloques — notamment celui organisé par Sankoré sous l’impulsion de Pathé Diagne — ainsi que le journal Taxaw. Cette immersion dans les matériaux périphériques lui a permis de restituer une pensée vivante, contextualisée et profondément engagée.
Présentant sa lecture de Cheikh Anta Diop, Dr Ndiaye ressort plusieurs axes majeurs de la pensée diopienne. L’unité culturelle africaine est un fait historique, sans nécessairement impliquer une unité politique, celle-ci relevant d’un projet. Il considère à travers la relecture de Cheikh Anta Diop que le savant milite pour une fédération africaine pluricommunautaire respectueuse des identités nationales ; pour la promotion d’une langue continentale n’entrant pas en concurrence avec les langues maternelles ainsi que la nécessité, dans une logique de dissuasion, d’une « bombe atomique africaine ». En effet, Cheikh Anta Diop considère que « la sécurité précède le développement ». Il y a enfin, l’instauration d’un bicaméralisme inspiré des sociétés africaines précoloniales, avec deux chambres parlementaires d’égale dignité, l’une composée de femmes, l’autre d’hommes.
Sur ce point, Dr Khadim Ndiaye a proposé le concept de « Féeminisme », forgé à partir du terme wolof feem, pour qualifier la vision féministe singulière de Cheikh Anta Diop, enracinée dans les structures sociales africaines.
Comme le veut la tradition académique, la présentation de l’ouvrage a été précédée d’un panel introductif, modéré par le Dr Mamadou Bodian, sociologue à l’IFAN. Pr Ibrahima Thiaw représentant le Directeur de l’IFAN , a ouvert la rencontre en rappelant avec force que « Cheikh Anta Diop est sans aucun doute l’intellectuel africain le plus puissant du XXᵉ siècle ».
Préfacier de l’ouvrage, le Dr Dialo Diop a choisi de ne pas s’attarder sur le scientifique dont les travaux, bien que longtemps controversés, ne le sont plus aujourd’hui. Il a plutôt mis en lumière l’homme politique, fondateur du Rassemblement national démocratique (RND), insistant sur la place centrale de l’éthique dans son engagement, son respect scrupuleux de la parole donnée et sa rigueur morale. Il a également rappelé un point fondamental de la pensée de Cheikh Anta Diop : pour lui, toutes les cultures se valent, et la seule revendication légitime des peuples noirs est celle de l’antériorité de leur civilisation.
Ancienne directrice de la Bibliothèque universitaire de l’UCAD puis de la Direction du Livre et de la Lecture, Mme Marietou Diongue a, pour sa part, souligné la profonde confiance que Cheikh Anta Diop plaçait dans la jeunesse, à laquelle il témoignait une affection sincère. Elle a rappelé que si la première exposition consacrée au savant au Sénégal a pu être organisée seulement quarante jours après son décès, c’est parce qu’il lui avait lui-même donné, de son vivant, toutes les indications nécessaires sur les œuvres à présenter au public.
Mme Diongue a également plaidé pour une valorisation effective des langues nationales, rappelant l’importance de la diversité linguistique comme socle de l’émancipation culturelle africaine.




