Témoignages sur Cheikh Anta DIOP

35 ans après sa mort, des intellectuels témoignent.

Les témoignages sont unanimes. Imminent intellectuel sénégalais disparu en 1987, Cheikh Anta Diop fut l’homme de l’intégrité morale et intellectuelle et du refus des compromissions pour satisfaire les « vraisemblances » du moment. Dans ce Spécial Cheikh Anta Diop, amis, parents, anciens compagnons politiques et intellectuels reviennent sur la vie et le parcours de l’homme.

Boubacar Boris Diop, Écrivain

« Si Cheikh Anta Diop était resté enfermé dans son laboratoire de l’IFAN (…), seuls quelques spécialistes se souviendraient aujourd’hui… »

« Diop est un immense porte-drapeau, un symbole de la résistance politique et culturelle d’un continent que l’Histoire n’a pas épargné. Au Nigeria, il est l’un des rares intellectuels dits francophones à être lu avec attention. Ce n’est pas à Bamako seulement qu’il y a un lycée privé à son nom, j’en ai découvert un autre à Johannesburg. L’Afrique lui sait gré d’avoir su reconnecter le politique et le culturel, mais c’est dans le domaine linguistique que le peuple sénégalais lui est le plus redevable. ”Nations nègres et culture” paraît en 1954 et dès 1958 se constitue le “Groupe de Grenoble” dont les membres (Assane Sylla, Saliou Kandji, Cheik Aliou Ndao, etc.) reconnaissent avoir été directement influencés par l’ouvrage de Diop. Il en naît “Ijjib wolof” le premier alphabet dans la langue de Kocc. Tous ceux qui viendront plus tard – Saxiir Thiam, Pathé Diagne, Aboubacry Moussa Lam et Aram Fal – revendiqueront son héritage.

Aux dires de certains, Diop n’aurait jamais s’engager en politique. Ils estiment que les années qu’il y a consacrées ont été autant d’années

perdues pour ses précieuses recherches. Je pense exactement le contraire. Si Cheikh Anta Diop était resté enfermé dans son laboratoire de l’IFAN à travailler sur des sujets arides, des sujets en rapport avec un passé très lointain, seuls quelques spécialistes se souviendraient aujourd’hui de son passage sur terre, quitte d’ailleurs à vampiriser ou discréditer son œuvre…

L’impact de Diop reste puissant et durable parce qu’il a été, par le biais de l’action politique, sans cesse au contact des souffrances et des espérances de tout un continent. Il a montré à la jeunesse que le terrain politique n’est pas forcément le lieu du mensonge et de la corruption. »

Le dernier parti fondé par Cheikh Anta Diop, le “Rassemblement national démocratique”, fonctionnait à bien des égards comme une université populaire, il y était surtout question des défis majeurs que la jeunesse africaine se devait de relever »

Dr Ibrahima Sagna(Laboratoire Carbone 14, IFAN) et Dr Cheikh Abdoulaye Niang (Laboratoire d’Anthropologie culturelle, IFAN)

« Cheikh Anta Diop, un chercheur entre défi scientifique et « courage de la vérité »

«Il est inutile de rappeler que Cheikh Anta s’est résolument engagé dans les rapports de force intellectuels de son époque, dans l’art de la contradiction scientifique et dans celui de la controverse amicale des gens de la communauté du savoir ». Cependant, il n’est superflu de dire qu’il l’a fait au nom d’un admirable « courage de la vérité » autrement dit d’un

«parrêsia1 » qui procède d’une abnégation à porterses idées, de la hardiesse et de la pugnacité à proposer des arguments inédits et novateurs dans la « disputatio » et de la disposition à « souffrir » parce que minoritaire dans ses convictions, de la témérité à faire les frais d’un engagement scientifique quand bien même on aurait en face tout un establishment politico-scientifique »…

Pr Babacar Diop dit Bouba Diop

« Il est parti sans nous laisser ses mémoires, ses réflexions sur l’articulation entre engagement politique, activités scientifiques, sociales, etc. »

« Il suffit de lire ou relire le rapport fait par un de mes anciens professeurs à la Sorbonne, le Prof Jean Dévisse (ancien de l’Université de Dakar dans les années 60) suite à la Conférence du Caire en 1974 sur le peuplement de l’Égypte ancienne et le déchiffrement de la langue méroïtique. La préparation méticuleuse de Cheikh Anta Diop et de Théophile Obenga n’a pas eu la contrepartie attendue de leurs adversaires. Donc il n’y a pas eu match, c’est dans le rapport validé par l’UNESCO alors dirigé par le professeur Amadou Mokhtar Mbow. On aurait pu évoquer le 1er Festival mondial des arts nègres, en 1966, à Dakar, qui a consacré Cheikh Anta avec Dubois comme intellectuels qui ont marqué la pensée nègre au XXe siècle.

Il a ramé contre les fossoyeurs de nombreux pays et entretenus par des établissements, institutions, maisons de presse qui voulaient maintenir l’Afrique dans la dépendance et le monde dans la queue des races, des

civilisations, des religions. Il faut lire à ce sujet un des derniers ouvrages de Pathé Diagne « l’Afrique, enjeu de l’Histoire, afrocentrisme, eurocentrisme, Sémitocentrisme », Co-édition Sankore, paru aux éditions L’Harmattan en 2010 ».

Cheikh Anta a été un intellectuel organique dans les sens que Gramsci donne à ce terme. Il illustre bien le rôle d’un individu particulier dans l’histoire de son pays, le Sénégal, de son continent, l’Afrique, et du monde.

Le regret qu’on peut formuler c’est sa disparition brutale en 1986. Il est parti sans nous laisser ses mémoires, ses réflexions sur l’articulation entre engagement politique, activités scientifiques, sociales, etc.…

De toutes les façons, il est difficile de dissocier ces 2 dimensions dans la vie de Cheikh Anta Diop. Il a eu ses convictions, il les a assumées avec courage, dignité et lucidité ».