INTERVIEW KHADIM NDIAYE, CHERCHEUR EN HISTOIRE DE L’AFRIQUE

Chercheur en histoire de l’Afrique, l’Enseignant nous livre un vibrant témoignage sur la vie et l’œuvre de Cheikh Anta Diop qui a largement contribué à la restauration de la vérité scientifique et la promotion des langues africaines, notamment locales, gage de développement et d’indépendance.

Au stade actuel, les archives de l’IFAN Ch. A. Diop et de l’UCAD sont malheureusement muettes sur tout ce qui concerne Cheikh Anta Diop. Quelle explication peut-on donner à cette donne ?

Cheikh Anta Diop, auteur controversé, a longtemps eu la réputation d’un penseur infréquentable qui a osé bousculer les idées reçues sur l’histoire de l’Afrique. De son temps, très peu d’intellectuels se sont risqués à écrire sur lui, au sein même de l’Université. Ceci explique certainement cette situation. Mais curieusement, on note aujourd’hui un regain d’intérêt autour de sa pensée. Il y a un réel engouement, chez les jeunes notamment et on ne compte plus le nombre d’articles scientifiques et d’ouvrages qui lui sont consacrés.

Quel est l’apport de ses travaux à la recherche scientifique à l’UCAD et en Afrique en général ?

Un de ses principaux apports est d’avoir théorisé et démontré l’antériorité des civilisations noires. Le continent africain est à l’origine de tout le développement de la civilisation humaine. Cela a été rendu possible par la démonstration qu’il a faite de la « continuité historique » de l’Afrique, faisant remonter son origine à l’Antiquité, ruinant ainsi la thèse des « siècles obscurs » communément soutenue à son époque.

Le rôle de Cheikh Anta DIOP dans la restauration et la préservation de la vérité scientifique, comment l’évaluer ?

Cheikh Anta Diop a joué un rôle de pionnier dans la restauration de la vérité scientifique sur l’Afrique. Si la thèse de l’antériorité des civilisations africaines a été évoquée par des auteurs antérieurs, son apport décisif a été d’en faire un « concept scientifique opératoire » qu’il a pu vérifier dans plusieurs domaines de la connaissance : historique, linguistique, philosophique, sociologique, etc.

Pourquoi a-t-il toujours ramé à contre-courant de la Communauté scientifique internationale ?

Certaines thèses, très en vue à son époque et qui dissimulaient en réalité un projet de domination, faisaient de l’Afrique le parent pauvre de l’histoire, un continent fruste qui n’a rien apporté. Diop a opéré un renversement épistémologique en montrant que l’Afrique est la mère des civilisations. C’est donc une confrontation qui instaure une césure radicale dans la vision de l’histoire de l’humanité.

À quel point pouvez-vous évaluer les impacts (positifs comme négatifs) de son engagement politique ou de son génie politique sur son parcours d’homme de sciences ?

L’impact positif c’est la référence sur l’éthique tout au long de sa carrière politique. Cheikh Anta Diop a refusé à plusieurs reprises l’offre de postes ministériels et parlementaires faite à son parti. Il a toujours refusé les compromissions. Ce qui lui a valu d’être combattu. Il aurait pu faire beaucoup plus au niveau de la formation et de la recherche scientifique si les pouvoirs publics n’avaient pas transféré l’adversité politique sur le terrain de la science.

D’aucuns disent que Cheikh Anta DIOP était bien au-dessus de son époque, qu’en pensez-vous ?

Ceux qui vont à l’encontre de la doxa officielle dans le domaine du savoir sont en général incompris et rejetés de prime abord. C’est bien une marque de supériorité que de renverser une perspective communément admise, d’offrir des paradigmes nouveaux de lecture et d’user d’une méthodologie pluridisciplinaire. C’est ce que fit Cheikh Anta Diop.

Témoignages sur Cheikh Anta DIOP

35 ans après sa mort, des intellectuels témoignent.

Les témoignages sont unanimes. Imminent intellectuel sénégalais disparu en 1987, Cheikh Anta Diop fut l’homme de l’intégrité morale et intellectuelle et du refus des compromissions pour satisfaire les « vraisemblances » du moment. Dans ce Spécial Cheikh Anta Diop, amis, parents, anciens compagnons politiques et intellectuels reviennent sur la vie et le parcours de l’homme.

Boubacar Boris Diop, Écrivain

« Si Cheikh Anta Diop était resté enfermé dans son laboratoire de l’IFAN (…), seuls quelques spécialistes se souviendraient aujourd’hui… »

« Diop est un immense porte-drapeau, un symbole de la résistance politique et culturelle d’un continent que l’Histoire n’a pas épargné. Au Nigeria, il est l’un des rares intellectuels dits francophones à être lu avec attention. Ce n’est pas à Bamako seulement qu’il y a un lycée privé à son nom, j’en ai découvert un autre à Johannesburg. L’Afrique lui sait gré d’avoir su reconnecter le politique et le culturel, mais c’est dans le domaine linguistique que le peuple sénégalais lui est le plus redevable. ”Nations nègres et culture” paraît en 1954 et dès 1958 se constitue le “Groupe de Grenoble” dont les membres (Assane Sylla, Saliou Kandji, Cheik Aliou Ndao, etc.) reconnaissent avoir été directement influencés par l’ouvrage de Diop. Il en naît “Ijjib wolof” le premier alphabet dans la langue de Kocc. Tous ceux qui viendront plus tard – Saxiir Thiam, Pathé Diagne, Aboubacry Moussa Lam et Aram Fal – revendiqueront son héritage.

Aux dires de certains, Diop n’aurait jamais s’engager en politique. Ils estiment que les années qu’il y a consacrées ont été autant d’années

perdues pour ses précieuses recherches. Je pense exactement le contraire. Si Cheikh Anta Diop était resté enfermé dans son laboratoire de l’IFAN à travailler sur des sujets arides, des sujets en rapport avec un passé très lointain, seuls quelques spécialistes se souviendraient aujourd’hui de son passage sur terre, quitte d’ailleurs à vampiriser ou discréditer son œuvre…

L’impact de Diop reste puissant et durable parce qu’il a été, par le biais de l’action politique, sans cesse au contact des souffrances et des espérances de tout un continent. Il a montré à la jeunesse que le terrain politique n’est pas forcément le lieu du mensonge et de la corruption. »

Le dernier parti fondé par Cheikh Anta Diop, le “Rassemblement national démocratique”, fonctionnait à bien des égards comme une université populaire, il y était surtout question des défis majeurs que la jeunesse africaine se devait de relever »

Dr Ibrahima Sagna(Laboratoire Carbone 14, IFAN) et Dr Cheikh Abdoulaye Niang (Laboratoire d’Anthropologie culturelle, IFAN)

« Cheikh Anta Diop, un chercheur entre défi scientifique et « courage de la vérité »

«Il est inutile de rappeler que Cheikh Anta s’est résolument engagé dans les rapports de force intellectuels de son époque, dans l’art de la contradiction scientifique et dans celui de la controverse amicale des gens de la communauté du savoir ». Cependant, il n’est superflu de dire qu’il l’a fait au nom d’un admirable « courage de la vérité » autrement dit d’un

«parrêsia1 » qui procède d’une abnégation à porterses idées, de la hardiesse et de la pugnacité à proposer des arguments inédits et novateurs dans la « disputatio » et de la disposition à « souffrir » parce que minoritaire dans ses convictions, de la témérité à faire les frais d’un engagement scientifique quand bien même on aurait en face tout un establishment politico-scientifique »…

Pr Babacar Diop dit Bouba Diop

« Il est parti sans nous laisser ses mémoires, ses réflexions sur l’articulation entre engagement politique, activités scientifiques, sociales, etc. »

« Il suffit de lire ou relire le rapport fait par un de mes anciens professeurs à la Sorbonne, le Prof Jean Dévisse (ancien de l’Université de Dakar dans les années 60) suite à la Conférence du Caire en 1974 sur le peuplement de l’Égypte ancienne et le déchiffrement de la langue méroïtique. La préparation méticuleuse de Cheikh Anta Diop et de Théophile Obenga n’a pas eu la contrepartie attendue de leurs adversaires. Donc il n’y a pas eu match, c’est dans le rapport validé par l’UNESCO alors dirigé par le professeur Amadou Mokhtar Mbow. On aurait pu évoquer le 1er Festival mondial des arts nègres, en 1966, à Dakar, qui a consacré Cheikh Anta avec Dubois comme intellectuels qui ont marqué la pensée nègre au XXe siècle.

Il a ramé contre les fossoyeurs de nombreux pays et entretenus par des établissements, institutions, maisons de presse qui voulaient maintenir l’Afrique dans la dépendance et le monde dans la queue des races, des

civilisations, des religions. Il faut lire à ce sujet un des derniers ouvrages de Pathé Diagne « l’Afrique, enjeu de l’Histoire, afrocentrisme, eurocentrisme, Sémitocentrisme », Co-édition Sankore, paru aux éditions L’Harmattan en 2010 ».

Cheikh Anta a été un intellectuel organique dans les sens que Gramsci donne à ce terme. Il illustre bien le rôle d’un individu particulier dans l’histoire de son pays, le Sénégal, de son continent, l’Afrique, et du monde.

Le regret qu’on peut formuler c’est sa disparition brutale en 1986. Il est parti sans nous laisser ses mémoires, ses réflexions sur l’articulation entre engagement politique, activités scientifiques, sociales, etc.…

De toutes les façons, il est difficile de dissocier ces 2 dimensions dans la vie de Cheikh Anta Diop. Il a eu ses convictions, il les a assumées avec courage, dignité et lucidité ».

CHEIKH ANTA DIOP : la recherche au service de la conscience historique africaine

L’illustre chercheur, Cheikh Anta Diop a laissé à l’Afrique un héritage de libération intellectuelle sans précédent. Les résultats de ses recherches sont le produit d’un effort gigantesque de reconstitution des fondements de l’architecture d’une civilisation qui était enfouie sous les décombres de l’oubli, comme disait Jean-Pierre NDiaye dans le J.A. n° 1316 (daté du 26 mars 1986). L’institut Fondamental d’Afrique Noire Cheikh Anta Diop qui porte son nom et où il fut chercheur, lui rend un hommage appuyé par des témoignages, dans le second numéro de son bulletin d’information.

« L’Égypte ancienne était nègre… C’est l’évolution du hasard qui a voulu que l’homme ait pris naissance en Afrique. Donc, l’homme était d’abord noir et cet homme est l’ancêtre de toutes les autres races ». Tel est le résumé qui sort principalement des travaux scientifiques menés par l’éminent chercheur.

La première parution de « Nations nègres et culture » en 1954, fut un véritable séisme dans les milieux intellectuels de l’époque. Le chercheur qui rame à contre-courant va plus loin en étudiant les textes anciens des savants et explorateurs. Il reprend ainsi les récits de voyageurs européens du XVIIIe siècle qui, malgré les préjugés de la société esclavagiste, ont perçu comme une évidence l’origine nègre de l’Égypte ancienne.

Il invite également, photographies à l’appui, à porter un regard critique, direct sur les sculptures et les fresques égyptiennes, et à voir dans la pigmentation foncée des personnages, dans leur nez court et charnu, leurs lèvres épaisses et leur morphologie un type humain intégralement nègre.

Selon lui, les ancêtres des Européens, les Latins et les Grecs qui étaient arrivés au centre de la lucidité et de la maturité à l’instar des philosophes de l’antiquité, avaient tous abondé dans le même sens. Mieux, ils prétendaient avoir reçu de ces derniers, tous les éléments de leur civilisation. Une telle théorie plaçant l’Égypte au cœur de la civilisation universelle et comme base l’hellénisme, ne pouvait que susciter l’indignation.

Au service du génie noir…

Cheikh Anta Diop appartient en effet aux générations des intellectuels africains de la Seconde Guerre mondiale. C’est le moment où vont éclater les contradictions de trois siècles de domination occidentale avec une prééminence des idéologies racistes et colonialistes, une infériorisation des noirs et une négation de leur contribution à l’Histoire universelle.

Les travaux de Cheikh Anta Diop marquent également la résurrection de la Haute Antiquité égyptienne qui remonte à 6 000 ans avant J.-C. et qui témoigne de l’existence d’une écriture à travers laquelle les peuples de la vallée du Nil ont immortalisé leur mémoire.

Ses travaux ont contribué à bouleverser les certitudes considérées comme scientifiques, au moment où les jeunes nations retrouvent théoriquement leur indépendance.

Après sa thèse de Doctorat d’État en Histoire, et quelques années d’enseignement de la physique-chimie aux lycées Claude Bernard et Voltaire à Paris, il retourne en 1960 au Sénégal, en terre africaine, pour contribuer au développement de la science et à la décolonisation des approches dominantes.

En 1961, il est affecté à l’Institut français d’Afrique noire (IFAN) de l’Université de Dakar où il va approfondir ses recherches sur l’histoire africaine et égyptienne en particulier. À l’IFAN, sa première tâche fut l’inventaire archéologique du Mali.

Le chercheur-Assistant va répertorier toutes sortes d’objets, de la poterie de l’époque médiévale, des haches de la période néolithique, etc. qui lui ont permis de reconstituer la chronologie, le mode de vie et d’organisation sociale des ancêtres d’Africains, leurs coutumes et la conception qu’ils se faisaient de la vie et de la mort.

Il va sans aucune aide du gouvernement, solliciter le concours des amis et collègues pour créer le Laboratoire Carbone 14 de datation des objets archéologiques par la méthode de radiocarbone, le seul laboratoire en Afrique à cette époque. Dans son Laboratoire, il y réunit toute une collection de moulage de crânes de différents stades de l’évolution humaine et s’emploie à remonter le plus loin possible dans l’histoire de l’Afrique. Chef du laboratoire Carbone 14 à l’IFAN, Cheikh Anta Diop s’adonne aussi à des recherches sur l’énergie solaire.

Dans le domaine politique, il parachève l’élaboration théorique de sa vision étatique qui s’identifie à celle de Nkrumah et la consolide.

Le Panafricain des premières heures

Son combat culturel eut naturellement un prolongement politique. Dans les années cinquante, Cheikh Anta Diop est l’un des principaux animateurs de la Fédération des Étudiants d’Afrique Noire en France (FEANF) qui lance pour la première fois, en direction de l’Afrique, le mot d’ordre d’ « indépendance immédiate » bousculant le calendrier et le programme politique des partis fédéraux africains.

Cheikh Anta Diop, c’est aussi un combat pour l’Unité de l’Afrique Noire, gage d’indépendance et de développement. Partisan d’un État fédéral d’Afrique Noire, il a posé les fondements économiques du continent noir dans son ouvrage « Les fondements économiques et culturels d’un État fédéral d’Afrique noire » dans lequel, le principe de l’unité transforme tous les problèmes auxquels l’Afrique est confrontée. Pour l’homme, il n’y a pas d’unité sans mémoire : il s’agit de restaurer la conscience historique africaine. II n’y a pas d’identité nationale et fédérale sans un langage commun : l’unification linguistique est possible.

Cheikh Anta Diop, un chercheur entre défi scientifique et courage de la vérité

L’une des intuitions scientifiques fut de montrer la place prééminente du continent africain dans l’histoire de la civilisation, ou dans l’histoire de l’humanité tout court. Sachant que l’ambition est une chose et la démarche ressorts théorico-méthodologique une toute autre chose, Cheikh s’est évertué à concilier les deux. Autant dire que son obsession à démontrer l’antériorité de la civilisation nègre n’a jamais frisé l’ « afrocentrisme contemplatif » que lui prêtèrent quelques-uns de ses contradicteurs, car un défi scientifique aussi titanesque devait à ses yeux, payer le prix d’une structuration pluridisciplinaire voire d’un dispositif de recherche qui soit au confluent des approches les plus diverses. De là découle toute la circulation à l’intérieur d’univers scientifique qu’un arbitraire découpage académique et un cloisonnement administratif travaillaient à séparer et à opposer, de façon rigide et systématique. Il parvint ainsi à concilier la démarche des sciences sociales (Sociologie, Anthropologie, Linguistique), celle des sciences historiques (Histoire, Archéologie) et celle des sciences expérimentales (Physique, Chimie, Biologie).  C’est la dimension totale de l’homme, qui est envisagée dans les travaux de Cheikh Anta.

Avec la mise sur pied en 1966, du Laboratoire Carbone 14, Cheikh Anta se proposait d’appréhender  l’histoire de l’homme à partir de la reconstitution paléontologique, autrement dit de la datation des fossiles archéologiques au radiocarbone. Il pensait là, avoir trouvé la voie idéale pour aborder l’histoire ancienne sur une base scientifique. C’est ainsi qu’il a commencé à utiliser les techniques nucléaires, en l’occurrence la Physique et la Chimie nucléaires des basses énergies, c’est-à-dire les éléments radioactifs de longue durée. En utilisant la méthode de la datation Carbone 14, il a réalisé qu’il pouvait obtenir des résultats tangibles tels que la datation de la période de sortie des premiers hommes vers l’Europe via le détroit de Gibraltar. Seulement,  cette technique ne pouvait pas aller au-delà de 40.000 ans. Or les évènements les plus déterminants de l’évolution historique s’étendent sur une période beaucoup plus longue. Il faudrait dès lors des techniques autres pour optimiser le mode de datation. C’est ainsi qu’il a pensé nécessaire de mobiliser la chaîne Potassium Argon ; un dispositif qui permet de prendre en charge des évènements qui remontent à plusieurs milliards d’années lumières, tels que la naissance de la terre qui remonte à 4 milliards d’années lumières. C’est ce dispositif qui lui permit d’affirmer que le peuplement de la planète s’est fait suivant un axe sud-nord et non l’inverse. Ce renouvellement de perspective a apporté  une plus-value à la vie de l’IFAN en contribuant à son rayonnement international. Défi scientifique certes, mais défi éthique également. Défi éthique car il s’agissait de prouver de la façon la plus rigoureuse possible, que les topoï africains avaient une valeur philosophique et scientifique propre, et que le Continent noir n’avait pas à développer un complexe d’infériorité, à douter sur son identité culturelle et à minorer son statut sur le plan des apports à la civilisation universelle. Il est inutile de rappeler que Cheikh Anta s’est résolument engagé dans les rapports de force intellectuels de son époque, dans l’art de la contradiction scientifique et dans celui de la controverse amicale des gens de la communauté du savoir ». Cependant, il n’est superflu de dire qu’il l’a fait au nom d’un admirable « courage de la vérité » autrement dit d’un « parrêsia[1] » qui procède d’une abnégation à porter ses idées, de la hardiesse et de la pugnacité à proposer des arguments inédits et novateurs dans la disputatio, et de la disposition à « souffrir » parce que minoritaire dans ses convictions, de la témérité à faire les frais d’un engagement scientifique quand bien même on aurait en face tout un establishment politico-scientifique.

Auteurs :

Cheikh Abdoulaye Niang (Laboratoire d’Anthropologie Culturelle, IFAN)

 Ibrahima Sagna (Laboratoire Carbone 14, IFAN)


CAMARA LAYE-PENSIONNAIRE DE L’IFAN

Camara Laye intégra l’IFAN en 1966 à la faveur d’une bourse d’étude attribuée par le président sénégalais Léopold Sédar Senghor. Il fut d’abord admis au laboratoire d’histoire avant de poursuivre sa carrière scientifique au laboratoire des langues et civilisations africaines. Professeur Yves Person l’encourageait poursuivre son travail de transcription et de traduction des bandes de l’épopée de Soundiata Keita entamé en Guinée. Camara Laye travaillait ainsi sous la direction de Professeur Liliane Kesteloot, contribuant ainsi à la sauvegarde des récits sur l’Afrique racontés par les griots. Cette entreprise l’occupa pleinement durant ces dernières années de vie alors que sa santé était devenue vacillante.

Né en 1928 à Kouroussa en Guinée, Camara Laye est issue d’une lignée de forgerons. Après des études primaires inachevées , il s’orienta vers la professionnalisation et   réussit son certificat d’aptitude professionnelle en mécanique. Il eut ensuite une bourse d’étude en France pour une spécialisation. Mais « faute d’avoir pu s’inscrire dans un établissement scolaire, Camara Laye se retrouve ouvrier des usines Simca », peut-on lire dans le bulletin 175 des Notes Africaines qui retrace les principales étapes de sa vie. Camara Laye fait la connaissance d’une française,  professeur de lettres à Paris. Cette rencontre donna naissance à son premier roman L’enfant noir (1953), autobiographie dans laquelle l’auteur raconte l’histoire, les péripéties de sa vie dans un style imagé et pittoresque. Ce livre est un condensé des mémoires de Camara Laye. De son enfance dans une petite ville de la Haute Guinée en passant par le métier de bijoutier de son père qu’il doit perpétuer, les pouvoirs spirituels de sa mère, les croyances traditionnelles et son goût prononcé pour les études, L’enfant noir est considéré comme un chef d’œuvre de la littérature africaine. Avec cet ouvrage, il obtint le prix Charles Veillon en 1954. L’enfant noir est étudié dans les programmes scolaires au Sénégal et en Guinée

Le regard du roi (1954) est le deuxième roman de Camara Laye. Celui-ci a divisé les critiques sur l’authenticité de cet ouvrage mystique dont les référentiels reposent sur la culture Mossi. Le regard du roi évoque le cheminement spirituel d’un blanc délaissé par ses semblables, qui tente d’accéder à la sagesse africaine.

En 1958, Camara Laye est nommé directeur du crédit du Congo après un passage à la caisse centrale de la France d’Outre-Mer qui formait les cadres des agences de crédit d’Afrique noire. Lorsque la Guinée eut son indépendance, il est affecté au Ghana comme ambassadeur par le président Sékou Toure. Il occupa plusieurs postes à l’étranger avant d’être rappelé pour diriger l’Institut National de la Recherche et de la Documentation en Guinée ex   IFAN, afin de continuer son travail de recherche sur le Mande.
En conflit ouvert avec Sékou Touré, Camara Laye a vécu une brève expérience carcérale. A sa sortie de prison, il s’installa en Côte d’Ivoire puis au Sénégal en 1965. Une année plus tard, sortit son troisième ouvrage Dramous (1966), une critique acerbe du régime guinéen.

 Au Sénégal, dans les années 70, en dépit d’une hypertension artérielle tardivement diagnostiquée, Camara Laye finit ses recherches sur l’épopée de Soundiata Keita et publia l’ouvrage Le Maitre de la parole (1978).

 Il s’agit d’une transposition et d’une réécriture de l’épopée de Soundiata Keita que Camara Laye a mis une vingtaine d’années à collecter auprès des griots, gardiens de la mémoire en Afrique.

Camara Laye décédera deux ans plus tard, en 1980.  Il repose aux cimetières de Yoff.  Dans son allocution prononcée à Dakar lors de ses obsèques, Amar Samb, ancien directeur de l’IFAN parlait de lui en ces termes : «   romancier de talent, poète, ami affable, Laye Camara entre dans le panthéon des hommes de lettres (…), il est mort mais pas son œuvre littéraire marquée du sceau de l’originalité ».

REFERENCES

Kestelot, L (Juillet 1982). Témoignages sur Camara Laye. Revue Notes Africaines No 175, 58-59

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