Cheikh Anta Diop, un chercheur entre défi scientifique et courage de la vérité

L’une des intuitions scientifiques fut de montrer la place prééminente du continent africain dans l’histoire de la civilisation, ou dans l’histoire de l’humanité tout court. Sachant que l’ambition est une chose et la démarche ressorts théorico-méthodologique une toute autre chose, Cheikh s’est évertué à concilier les deux. Autant dire que son obsession à démontrer l’antériorité de la civilisation nègre n’a jamais frisé l’ « afrocentrisme contemplatif » que lui prêtèrent quelques-uns de ses contradicteurs, car un défi scientifique aussi titanesque devait à ses yeux, payer le prix d’une structuration pluridisciplinaire voire d’un dispositif de recherche qui soit au confluent des approches les plus diverses. De là découle toute la circulation à l’intérieur d’univers scientifique qu’un arbitraire découpage académique et un cloisonnement administratif travaillaient à séparer et à opposer, de façon rigide et systématique. Il parvint ainsi à concilier la démarche des sciences sociales (Sociologie, Anthropologie, Linguistique), celle des sciences historiques (Histoire, Archéologie) et celle des sciences expérimentales (Physique, Chimie, Biologie).  C’est la dimension totale de l’homme, qui est envisagée dans les travaux de Cheikh Anta.

Avec la mise sur pied en 1966, du Laboratoire Carbone 14, Cheikh Anta se proposait d’appréhender  l’histoire de l’homme à partir de la reconstitution paléontologique, autrement dit de la datation des fossiles archéologiques au radiocarbone. Il pensait là, avoir trouvé la voie idéale pour aborder l’histoire ancienne sur une base scientifique. C’est ainsi qu’il a commencé à utiliser les techniques nucléaires, en l’occurrence la Physique et la Chimie nucléaires des basses énergies, c’est-à-dire les éléments radioactifs de longue durée. En utilisant la méthode de la datation Carbone 14, il a réalisé qu’il pouvait obtenir des résultats tangibles tels que la datation de la période de sortie des premiers hommes vers l’Europe via le détroit de Gibraltar. Seulement,  cette technique ne pouvait pas aller au-delà de 40.000 ans. Or les évènements les plus déterminants de l’évolution historique s’étendent sur une période beaucoup plus longue. Il faudrait dès lors des techniques autres pour optimiser le mode de datation. C’est ainsi qu’il a pensé nécessaire de mobiliser la chaîne Potassium Argon ; un dispositif qui permet de prendre en charge des évènements qui remontent à plusieurs milliards d’années lumières, tels que la naissance de la terre qui remonte à 4 milliards d’années lumières. C’est ce dispositif qui lui permit d’affirmer que le peuplement de la planète s’est fait suivant un axe sud-nord et non l’inverse. Ce renouvellement de perspective a apporté  une plus-value à la vie de l’IFAN en contribuant à son rayonnement international. Défi scientifique certes, mais défi éthique également. Défi éthique car il s’agissait de prouver de la façon la plus rigoureuse possible, que les topoï africains avaient une valeur philosophique et scientifique propre, et que le Continent noir n’avait pas à développer un complexe d’infériorité, à douter sur son identité culturelle et à minorer son statut sur le plan des apports à la civilisation universelle. Il est inutile de rappeler que Cheikh Anta s’est résolument engagé dans les rapports de force intellectuels de son époque, dans l’art de la contradiction scientifique et dans celui de la controverse amicale des gens de la communauté du savoir ». Cependant, il n’est superflu de dire qu’il l’a fait au nom d’un admirable « courage de la vérité » autrement dit d’un « parrêsia[1] » qui procède d’une abnégation à porter ses idées, de la hardiesse et de la pugnacité à proposer des arguments inédits et novateurs dans la disputatio, et de la disposition à « souffrir » parce que minoritaire dans ses convictions, de la témérité à faire les frais d’un engagement scientifique quand bien même on aurait en face tout un establishment politico-scientifique.

Auteurs :

Cheikh Abdoulaye Niang (Laboratoire d’Anthropologie Culturelle, IFAN)

 Ibrahima Sagna (Laboratoire Carbone 14, IFAN)


CAMARA LAYE-PENSIONNAIRE DE L’IFAN

Camara Laye intégra l’IFAN en 1966 à la faveur d’une bourse d’étude attribuée par le président sénégalais Léopold Sédar Senghor. Il fut d’abord admis au laboratoire d’histoire avant de poursuivre sa carrière scientifique au laboratoire des langues et civilisations africaines. Professeur Yves Person l’encourageait poursuivre son travail de transcription et de traduction des bandes de l’épopée de Soundiata Keita entamé en Guinée. Camara Laye travaillait ainsi sous la direction de Professeur Liliane Kesteloot, contribuant ainsi à la sauvegarde des récits sur l’Afrique racontés par les griots. Cette entreprise l’occupa pleinement durant ces dernières années de vie alors que sa santé était devenue vacillante.

Né en 1928 à Kouroussa en Guinée, Camara Laye est issue d’une lignée de forgerons. Après des études primaires inachevées , il s’orienta vers la professionnalisation et   réussit son certificat d’aptitude professionnelle en mécanique. Il eut ensuite une bourse d’étude en France pour une spécialisation. Mais « faute d’avoir pu s’inscrire dans un établissement scolaire, Camara Laye se retrouve ouvrier des usines Simca », peut-on lire dans le bulletin 175 des Notes Africaines qui retrace les principales étapes de sa vie. Camara Laye fait la connaissance d’une française,  professeur de lettres à Paris. Cette rencontre donna naissance à son premier roman L’enfant noir (1953), autobiographie dans laquelle l’auteur raconte l’histoire, les péripéties de sa vie dans un style imagé et pittoresque. Ce livre est un condensé des mémoires de Camara Laye. De son enfance dans une petite ville de la Haute Guinée en passant par le métier de bijoutier de son père qu’il doit perpétuer, les pouvoirs spirituels de sa mère, les croyances traditionnelles et son goût prononcé pour les études, L’enfant noir est considéré comme un chef d’œuvre de la littérature africaine. Avec cet ouvrage, il obtint le prix Charles Veillon en 1954. L’enfant noir est étudié dans les programmes scolaires au Sénégal et en Guinée

Le regard du roi (1954) est le deuxième roman de Camara Laye. Celui-ci a divisé les critiques sur l’authenticité de cet ouvrage mystique dont les référentiels reposent sur la culture Mossi. Le regard du roi évoque le cheminement spirituel d’un blanc délaissé par ses semblables, qui tente d’accéder à la sagesse africaine.

En 1958, Camara Laye est nommé directeur du crédit du Congo après un passage à la caisse centrale de la France d’Outre-Mer qui formait les cadres des agences de crédit d’Afrique noire. Lorsque la Guinée eut son indépendance, il est affecté au Ghana comme ambassadeur par le président Sékou Toure. Il occupa plusieurs postes à l’étranger avant d’être rappelé pour diriger l’Institut National de la Recherche et de la Documentation en Guinée ex   IFAN, afin de continuer son travail de recherche sur le Mande.
En conflit ouvert avec Sékou Touré, Camara Laye a vécu une brève expérience carcérale. A sa sortie de prison, il s’installa en Côte d’Ivoire puis au Sénégal en 1965. Une année plus tard, sortit son troisième ouvrage Dramous (1966), une critique acerbe du régime guinéen.

 Au Sénégal, dans les années 70, en dépit d’une hypertension artérielle tardivement diagnostiquée, Camara Laye finit ses recherches sur l’épopée de Soundiata Keita et publia l’ouvrage Le Maitre de la parole (1978).

 Il s’agit d’une transposition et d’une réécriture de l’épopée de Soundiata Keita que Camara Laye a mis une vingtaine d’années à collecter auprès des griots, gardiens de la mémoire en Afrique.

Camara Laye décédera deux ans plus tard, en 1980.  Il repose aux cimetières de Yoff.  Dans son allocution prononcée à Dakar lors de ses obsèques, Amar Samb, ancien directeur de l’IFAN parlait de lui en ces termes : «   romancier de talent, poète, ami affable, Laye Camara entre dans le panthéon des hommes de lettres (…), il est mort mais pas son œuvre littéraire marquée du sceau de l’originalité ».

REFERENCES

Kestelot, L (Juillet 1982). Témoignages sur Camara Laye. Revue Notes Africaines No 175, 58-59